La transformation, enjeu crucial des entreprises établies

Pourquoi Airbnb n’a pas été créé par un grand groupe hôtelier à maturité ? Pourquoi les majors de la banque n’ont pas twisté la fintech ? Pourquoi n’est-ce pas un géant des transports qui conduit Uber ? Parce que pour toutes les entreprises établies, se transformer à la vitesse vertigineuse du marché est une gageure. Les comités de direction le savent : plus qu’un enjeu, c’est devenu une obsession.

Intégration digitale, business model, offre, synergies, partenariats, tout doit bouger quand le marché mute. L’organisation doit suivre – toujours plus flat, plus flexible, plus orientée “projet”.


Le volet social, problème ou moteur de cette évolution ?

Et les collaborateurs, dans l’affaire ? On le sait, aucune évolution réussie ne peut se faire sans eux : 7 opérations de transformation sur 10 achoppent sur le facteur humain. Mais ce sont parfois des milliers de personnes qu’il faut coûte que coûte faire bouger derrière l’entreprise – redistribuer dans l’organigramme, inscrire en mobilité, re-former, en conséquence du nouveau cap stratégique. Avec souvent des frustrations pour la fonction RH : “J’aurais préféré garder celui qui part, et que parte celui qui veut rester” tout en essayant de faire vivre ce qui apparaît comme injonction paradoxale : “Il faut que chacun prenne sa carrière en main”.

Il existe pourtant une façon puissante de mobiliser le social qui rend au RH son plein rôle dans la transformation : faire des collaborateurs une force active en amont du changement. Comment ? En leur permettant de se mettre en mouvement de façon culturelle et structurelle.


Replacer l’individu à la source du processus et créer du mouvement, au bénéfice de l’entreprise tout entière

Le plus souvent, les mobilités sont conçues à partir d’une finalité – la destination prévue pour le salarié. En découle un process qui va s’imposer à lui, bien précis suivant qu’il s’agisse de mobilité interne ou externe – lesquelles sont encore majoritairement organisées de façon autonome, en silo.

La mise en mouvement, au contraire, part de l’individu lui-même, sans présupposer l’issue de sa démarche : il s’agit d’une réflexion première sur ses aspirations, compétences et possibles évolutions. Ensuite, le collaborateur peut évoluer dans l’entreprise, ou tout aussi bien partir – peu importe : l’enjeu ici, c’est surtout la vertu active pour l’entreprise de ce travail de chacun sur lui-même, et la dynamique de mise en mouvement de l’organisation qui en découle. Elle est vitale pour que l’entreprise se transforme.

La mise en mouvement de chaque collaborateur crée de la valeur pour l’entreprise tout entière. Elle est vecteur d’engagement – ce qui compte ce n’est pas que le salarié reste “à vie”, mais qu’il soit “à fond” tant qu’il est là. Elle assure ensuite le re-skilling en continu et dynamise les courbes d’apprentissage. Elle permet l’anticipation, pour préparer le changement en toute clarté et pas au pied du mur. Elle insuffle enfin l’agilité indispensable à toute organisation aujourd’hui.

C’est un changement de paradigme : réinsuffler une dynamique générale, une culture du mouvement avec des expériences collaborateurs individualisées – plutôt qu’un traitement “en parcours”. La clé de cette mobilité culturelle, c’est de placer la personne en capacité d’être proactive, de savoir identifier ses forces à chaque étape de carrière, de définir ses choix et de les assumer. De se former aux enjeux de son business, de sortir de sa stricte “fiche de poste”, et de mobiliser ses facultés grand-angles au service de son job. En un mot, de prendre les rênes de sa trajectoire.

Pour le RH, un changement de posture créateur de valeur

Pour le RH, cela suppose un changement de posture fort. Il s’agit désormais de se positionner en aval, en interlocuteur constructif du changement individuel – non plus en chef d’orchestre d’une mobilité mécanique organisée en cycle de 3 ans ou en parcours, et imposée ex post à chaque collaborateur.

Qu’est-ce que cela suppose concrètement ? D’abord, de donner aux collaborateurs les moyens de leur autonomie. Comment ? En proposant les outils digitaux qui leur permettent de dessiner leur propre trajectoire. En étant à l’écoute, en tenant un discours de vérité sur les opportunités et les risques. Et en permettant l’appropriation par chacun des enjeux business de l’entreprise et du secteur.

Ensuite, il s’agit de cultiver une marque employeur fortement attractive, non pas seulement sur un “package” figé, mais sur la promesse d’un espace de croissance et de développement. Quelle valeur trouve le salarié à rejoindre l’entreprise, et avec quelle valeur en sortira-t-il ? Donner envie aux talents, c’est aller au bout de la logique d’employabilité. C’est leur garantir qu’ils ne seront pas seulement utilisés, mais nourris – en compétences, en possibilités d’entreprendre au sein de l’entreprise.

Accepter de “lâcher” pour insuffler de nouvelles dynamiques

Enfin, il devient clé d’accepter de ne pas tout contrôler. Accepter d’avoir des déconvenues ponctuelles – celui-ci nous quitte, celui-ci non, pour sortir gagnant au global sur la dynamique de changement. “Pour tenir, il faut lâcher. Pour retenir, il faut détacher”, pose un vieil adage chinois. Rien de plus juste en RH aujourd’hui. Même si cela peut-être contre-intuitif.

Certaines compagnies, comme les grands cabinets d’audit, PwC, ou E&Y en ont même fait un capital : sur des métiers peu attractifs au départ, elles se sont posées en passage incontournable – on y entre, parce qu’on en sort, plus fort.

Sans en arriver là, assumer que l’entreprise n’a plus à être un garant de stabilité, mais un accélérateur de talent est capital. C’est le secret d’une collaboration épanouie. Comme en amour, laisser la liberté de partir amène souvent aux relations les plus riches et durables : accepter que le deal de collaboration puisse être temporaire, sans cesse questionné, ne signifie pas qu’il sera éphémère.

Savoir lâcher/savoir capter les talents, sur un marché fluide de travailleurs agiles : c’est la clé d’une transformation réussie non seulement à l’échelle de l’entreprise, mais de tout un écosystème de sociétés adaptées à leur marché, entre lesquelles pourront circuler des compétences individuelles chaque fois augmentées.

Tribune Les Echos rédigée par Julie Coudry, fondatrice de Jobmaker. Retrouvez la publication ici